La LSF , les langues orales et les langues ecrites : pourquoi elles ne se valent pas.
de Harlinah, 2013-aprilo-10
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Lingvo: Français
Harlinah (Montri la profilon) 2013-aprilo-10 18:23:36
Évidemment ce n'est là que mon avis.
Comme je m’y suis engagée notamment vis-à-vis de Francestral qui me l’a gentiment demandé, je vais essayer de vous expliquer ma position.
Cela va être long et ne se fera pas qu’en un jour. J’espère en finir d’ici la fin de la semaine mais ce n’est pas garanti.
J’écrirai au fur et à mesure et tant que je n’aurai pas signalé la fin , c’est que d’autres posts vont arriver.
Je vous prie d’attendre la fin avant de me poser vos questions ou de commenter.
J’espère que vous aurez la patience de lire. J’espère aussi vous apporter quelque chose de nouveau , quelque chose que moi même je ne connaissais pas il y a 10 ans. J'espère qu’après cette lecture vous serez plus conscients de votre chance. En réalité, le plus important n’est pas l'audition en tant que telle mais tout autre chose.
Merci
Harlinah (Montri la profilon) 2013-aprilo-10 18:27:16
le_chaz:Je suis effectivement choqué.Généralement, je demande à la personne d’argumenter.
Que diriez-vous si quelqu'un arrivait sur ce forum pour qualifier le français (ou n'importe quelle autre langue) de langue au rabais ?
Mais si quelqu’un vient me dire que le français est une langue au rabais, il me fera autant d’effet que celui qui ira contre n’importe quelle évidence. Le français est une langue et pas des moindres. Dire autre chose c’est être aussi farfelu que madame Irma. Remarquez, tout le monde a le droit de rivaliser avec madame Irma et que le meilleur gagne. Tant qu’on ne m’impose rien, je ne vois pas où est le problème.
Et si on me dit que le berbère , ma langue maternelle, est une langue au rabais, on ne me vexe pas pour autant : non seulement, on a le droit de le penser mais en plus ce n’est pas tout à fait faux à mon sens. Toutes les langues sont respectables et toutes ont leur richesse, mais certaines sont plus puissantes que d’autres. Je ne suis pas linguiste et je ne parlerai que de ce que j’ai connu et expérimenté.
Le berbère est limité par rapport à beaucoup d’autres ne serait-ce que parce que c’est une langue essentiellement orale.
Je ne suis pas française, je ne renierai jamais mes racines, je reconnaitrai toujours le rôle qu’a joué ma langue maternelle dans ma vie et je donnerais n’importe quoi pour pouvoir la parler à nouveau.
Quand je dis que le berbère ne vaut pas le français, ou que la LSF ne vaut pas une langue : il n’y a ni mépris ni flagornerie. Je suis tout simplement honnête et objective. Je dis ce que je pense en étant prête à argumenter si nécessaire.
Pour le berbère, je l’ai compris toute seule depuis longtemps : j’ai été excellente dans cette langue mais dès que je devais aborder certains sujets notamment scientifiques ou même philosophiques, je devais obligatoirement recourir au français. Même l’arabe ne convenait pas.
La langue des signes est une langue limitée par rapport au français et aux autres langues que j’ai connues. Après dix ans de surdité et d’expériences diverses, j’en suis plus que jamais convaincue. Certes je peux toujours me tromper mais encore faut-il me prouver que j’ai tort.
Quant à moi, je vais vous expliquer pourquoi je le pense non pas pour vous convaincre mais juste pour que vous me compreniez mon point de vue. Je vois bien que j’en ai heurté plus d’un et je sais que mon propos pourrait être assimilé à du mépris pour les sourds ce qui relèverait de la psychiatrie dans mon cas..
Pourtant , les sourds sont bel et bien rejetés car il ne suffit pas de reconnaitre la LSF comme une langue mais encore faut-il se donner la peine de l’apprendre pour s’adapter à leur épouvantable handicap puisque eux ne peuvent pas apprendre la vôtre quand bien même le voudraient-ils.
Mais je ne juge pas les entendants non plus car l’apprentissage de cette langue n’est pas du tout une sinécure, en plus de ne pas être donnée.
Harlinah (Montri la profilon) 2013-aprilo-10 18:31:40
Ce n'est pas de la théorie. J'ai rencontré des sourds qui ont grandi avec la LSF. Je leur écris en français et ils sont le plus souvent incapables de me comprendre, encore moins de répondre correctement. Pourtant, mes questions étaient rédigées dans un français simple qui est leur langue maternelle.
Il m'est déjà arrivé de lire des traducteurs LSF qui se plaignent de ne pas pouvoir signer les concepts abstraits enseignés à l'école. Normal, la langue des signes est une langue très terre à terre qui s’attache avant tout à transmettre des choses concrètes.
C’est aussi une langue qui s’en tient à l’essentiel. « Le roi dort dans le château » sera signé : « dans château roi dort ». C’est une langue sans fioritures et c’est très frustrant pour quelqu’un qui aime l’éloquence et la rhétorique.
La langue des signes est appropriée et même fascinante(des gens qui signent c’est toujours captivant) pour expliquer ce qu'on a fait de sa journée , pour raconter une blague ou même un fait divers mais je vois très mal comment elle me permettra de parler philosophie , spiritualité , métaphysique , langue française, informatique, sociologie, exemple de sujets qui me donnent réellement l'impression d'échanger, de me ressourcer ou de m’enrichir, en un mot d'exister car vous vous doutez bien qu’avec l'exclusion qui m’ est imposée, ma vie intérieure a fini par prendre le pas sur tout le reste.
La langue des signes ne me permettrait même pas de vous transmettre ce que je suis entrain de vous écrire.
Je suis devenue sourde dans un pays où je venais juste d’arriver en 2002 et où je ne connaissais personne. Le plus clair de mon temps je suis seule et ne parle à personne. Et c’était encore pire avant que je n’installe internet en 2005 et que je ne commence à travailler en 2009. Heureusement que je vis dans la ville des bibliothèques.
Les livres sont les seuls à me tenir compagnie et ce n’est pas triste parce que je les ai toujours aimés. Ils me l’ont très bien rendu : ils m’ont sauvée du mutisme et de la folie. Je n‘ai pas été aussi inspirée que Tom Hanks qui a eu la brillante idée de parler à un ballon pour ne pas perdre la parole et la raison.
Ce n’est pas pour me plaindre, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, je ne vois pas mes journées passer.
C’est juste pour vous expliquer pourquoi la langue des signes est particulièrement limitative dans mon cas et ne pourra jamais jouer le rôle d’une langue écrite comme le français.
(je m'arrête là pour le moment et à bientôt).
Harlinah (Montri la profilon) 2013-aprilo-12 17:42:09
Vous ne pouvez pas savoir à quel point c’est douloureux. Même les criminels condamnés à perpétuité parlent à leurs parents au téléphone ou quand ils viennent leur rendre visite au parloir.
Alors que personne ne vienne me dire après cela qu’une langue orale vaut une langue écrite et parlée ! Et j‘espère tout simplement que la vie vous sera clémente ! Pour ma part, je ne suis pas ici pour me plaindre ou pour pleurer car de toute façon ça ne me ramènera pas mes parents et ça ne changera rien à ma surdité. Cela dit, comprenez que tout ce que vous avancerez ne pourra même pas entrer dans une oreille pour sortir de l’autre. Tout ne se vaut pas et au diable le politiquement correct ! Moi j’ai payé très cher pour le savoir !
Je me nourris et vis essentiellement de réflexion et de lecture. Je ne m’extériorise vraiment que par le biais de l’écriture. Seule l’écriture me permet de m’exprimer, de structurer ma pensée, d’affiner ma dialectique, de donner du poids à mes propos, et de cultiver un vocabulaire que j’aurais perdu si je n’avais fait que le lire.
J’aurais été ravie de connaître la LSF aussi mais certainement pas si elle doit se substituer à une langue écrite et parlée comme le français.
Ne donner à son enfant sourd que la LSF, c’est le couper de tout ce que seule une langue parlée lue et écrite peut lui apporter.
Et justement, c’est la seule chose qu’on propose à tous ceux qui sont subitement devenus sourds ou en passe de l'être (cela peut arriver à n'importe qui) et à tous les parents qui se retrouvent avec un enfant sourd (plus de 95% des nés sourds ont des parents entendants). J’imagine la détresse de ces parents qui subodorent déjà l’exclusion à laquelle leur enfant va être condamné car que nous le voulions ou non , nous sommes dans un monde d’entendants et la plupart ne fera jamais l’effort d’apprendre la LSF. J’ai vu des sourds « signants » complètement seuls dans leur famille et qui ne parlent pas à leurs parents parce que ces derniers sont des entendants qui écrivent mais qui n’ont pas appris la LSF. Je n'ose même pas imaginer la solitude et la blessure de ces pauvres enfants.
Mais de toute façon, en 2013, l’écrit et l’oral ne sont plus des options. Il n’y a pas que les sourds « signants » que je plains. Tous les entendants illettrés ou analphabètes me font pitié. Je sais parfaitement que tout le monde n’a pas eu la chance d’aller à l’école même si ici en France, ils sont un bon nombre à se complaire dans leur médiocrité. Mes parents sont illettrés, là où ils sont nés il n’y avait même pas d’école.
Harlinah (Montri la profilon) 2013-aprilo-12 17:51:57
Je lui lis des petites histoires auxquelles bien sûr elle ne comprend quasiment rien et j'essaie de lire son déchiffrage sur les lèvres. Je passerai sur le calvaire que c'est pour moi d'essayer de deviner si elle a bien lu ou non , de me concentrer sur des lèvres qui ne liront jamais parfaitement sans savoir si je dois l'attribuer à une faute ou tout simplement à son incapacité de prononcer des sons qui n'existent pas dans sa langue maternelle, d'être incapable de lui expliquer les fantaisies de la langue française : d'une parce que je ne suis pas prof, de deux parce que je ne sais plus parler berbère qui de toute façon n'est même pas approprié, de trois parce qu'il m'est tellement naturel de parler français même si ce n'est pas parfaitement , de quatre parce que je sais que c'est parfaitement vain : à 60 ans passées elle ne pourra jamais apprendre cette langue encore moins m'écrire ne serait ce que quelque mots en français. Mais au moins ca me permet de passer du temps avec elle même si c'est un moment où je souffre à tout point de vue : physiquement moralement psychiquement et tout ce que vous voulez. Mais au moins ça me donne l'illusion de lui parler et ça sera toujours mieux que le silence complet.
Elle adore les livres et pourrait passer la journée à les regarder et à copier méticuleusement d'une écriture enfantine ce qu'elle ne comprendra jamais que ce soit le français ou la langue arabe dont elle a suivi des cours alphabétisation pendant bien avant que je vienne en France,pour un résultat qui me brise le cœur : elle passe ses journées à bafouiller devant ses manuels de lecture le tout bien sûr sans comprendre quoi que ce soit. Je ne peux même pas l'entendre pour la corriger. Elle ne le sait pas mais ça me déchire le cœur.
J'aurai donné n'importe quoi pour qu'elle puisse lire comprendre et écrire. , j'aurai donne même l'audition.
Elle est trop âgée et n'arrivera jamais au stade où l'on commence enfin à tirer profit d'une langue que ce soit en s'oubliant dans des romans ou en écrivant aux êtres que l'on aime.
Sa petite fille de 5 ans l'a déjà surpassée que ce soit en arabe en français. Elle adore les histoires elle aussi et il faut la voir se chamailler avec sa grand mère au sujet d'un livre que chacune veut garder.
Son petit fils de 8ans écrit en français à sa tante mais surtout me parle en codant LPC. Lui peut me parler en français même s'il ne vit pas en France mais maman jamais, parce que justement c'est une femme qui n'a connu qu'une langue orale.
J'ai au moins la consolation de me dire que si elle ne me parle plus comme par le passé quand nous étions si complices, ce n'est pas parce qu'elle ne veut pas s'en donner la peine mais uniquement parce qu'elle ne peut pas. C'est triste à dire, mais il y a des handicaps tellement pires que la surdité.
Harlinah (Montri la profilon) 2013-aprilo-12 18:11:00
Je le dis sans hésiter : si on me donne le choix entre la LSF et la langue française ou n’importe quelle langue écrite, c’est cette dernière que je choisirai même si aucun entendant ne me parlera, même si je devais m’exclure à jamais des deux communautés. J’en serai certes toujours désolée mais on n’apprend pas une langue que pour avoir de la compagnie.
Maîtriser une langue, notamment une langue riche comme le français, pouvoir la manier à l'écrit et/ou à l'oral, pouvoir mettre des mots sur son ressenti et exprimer sa pensée avec précision est une immense liberté et il n'y a peut-être qu'une personne enfermée contre sa volonté, pour savoir ce que vaut vraiment la liberté. Comme je l’ai dit à un ami, l’ingrédient principal du bonheur n’est ni la richesse, ni l’amour, ni même la santé mais la liberté. Et je parle de liberté au sens large : liberté de conscience, liberté de pensée, liberté d’expression, liberté de choisir et d’agir sans avoir de compte à rendre sauf à sa conscience.
Maitriser une langue écrite parlé et parlée n’est important que dans la mesure où elle permet d‘exercer cette liberté contrairement à une langue orale qui permet tout juste de parler.
C’est aussi dans cette optique que je suis intéressée par l'espéranto. Ce que j’écris présentement ne sera compris que des Francophones. Mais avec l’esperanto je peux atteindre un public tellement plus large et diversifié. Si l'instruction et le savoir sont si précieux, c'est d'abord pour leur pouvoir libérateur.
Et justement l'écriture et la lecture sont les principaux vecteurs de ce savoir. Même le savoir que la vie nous apporte, a besoin de l'écrit pour être conceptualisé et de la lecture pour être alimenté.
La surdité et le handicap ne sont affligeants que dans la mesure où ils sont liberticides. Cela ne m’aurait pas gênée d’être sourde si seulement je pouvais faire tout ce que je voudrais. Je reproche à la surdité non pas mon isolement, encore moins ma différence mais mes limites et le fait de m'avoir coupée de mes parents - les êtres que j'aime le plus au monde- bien que cela n'aurait pas été le cas s'ils connaissaient une langue écrite, juste une seule, n’importe laquelle, serait-ce une langue aussi difficile que le coréen.
Pour parler à mes parents , je suis prête à m'y atteler car j'aurai alors une motivation inexistante pour la LSF.
Harlinah (Montri la profilon) 2013-aprilo-12 18:25:07
Quelle ironie du sort de devenir sourde quand on est essentiellement auditive et sensible à la beauté des sons et des voix. Je n'ose même pas imaginer la détresse d'un Beethoven qui lui ne vivait que pour la musique.
La beauté du verbe me manque cruellement autant que la musique et depuis dix ans je n’entends plus que ma voix. Voix qui essaie tant bien que mal de s'imposer au milieu d'une cacophonie perpétuelle qu'on appelle acouphènes, voix courageuse et téméraire que je n’aime pourtant pas car elle me rappelle constamment à quel point la surdité m’a causé du tort, en dépit de toutes mes lectures acharnées. L’une de raisons pour lesquelles je fuyais la LSF et m’abreuvais de la langue écrite était ma peur de devenir muette, le mutisme étant à mes yeux une prison aussi impitoyable que la surdité.
C’est seulement à l’écrit que je n’ai aucune entrave. Seulement à l’écrit que je suis enfin libre. C’est là toute la magie des mots. C’est là toute la puissance d’une langue.
Les signes ne me permettront jamais d’écrire quoi que ce soit et si j’avais mis au monde un enfant sourd , j’aurais fait l’impossible pour qu’il puisse parler ou du moins écrire correctement la langue française, non pas que la LSF soit une tare, mais parce que seule la maîtrise d’une langue riche écrite et parlée fera de lui un homme ou une femme libre, dans un pays comme le nôtre..
La liberté d’expression garantie par nos institutions est nécessaire mais pas suffisante car encore faut-il savoir quoi en faire. Et sans la maîtrise d’une langue parlée et écrite, je ne vois même plus comment on peut encore parler de liberté d’expression.
Harlinah (Montri la profilon) 2013-aprilo-14 12:00:18
Il soulève des sujets qui fâchent et dit des choses qui sont vraies notamment quand il parle de l’importance de la maîtrise du français aussi bien à l’écrit qu’à l’oral.
Je le sais parce que c’est une chose que je vis tous les jours.. A l’oral, je suis devenue un peu comme ces pauvres élèves qui de part leur français médiocre et appauvri sont condamnés à l’exclusion et à la précarité. Disons que je le parle imparfaitement surtout que je suis restée sur le souvenir d’un français livresque et académique parlé par des professeurs souvent marocains spécialistes dans leur domaine mais aussi très cultivés et à la diction parfaite. Je juge mon élocution à l’aune de ce que j’ai connu dans une autre vie. J’ai appris le français dans les livres et je n’ai pas eu le temps d’apprendre le français de la rue étant devenue sourde quelques mois après mon arrivée en France.
Et à l’écrit, je suis un peu comme cette minorité de favorisés à qui on a enseigné leur langue dans les règles de l’art et qui en tirent tous les avantages en premier lieu celui de la liberté. A l’écrit, moi aussi, je peux débattre et défendre tout ce qui me tient à cœur. Je peux exposer ce que je veux, expliquer ce que je désire, justifier mon point de vue , voire convaincre d’autres de me donner gain de cause. C’est quelque chose que j’expérimente tous les jours et pas que sur les forums.
Même à l’oral malgré mon français au rabais, j’arrive quand même à me faire comprendre. Mieux, je me fais entendre alors que je suis ravie de dire que je n’entends pas et que ce n’est pas qu’une malédiction. On est médusé, consterné, choqué mais je peux vous assurer qu’on ne la ramène pas et que ça file droit. Je ne suis pas une sauvage et je connais parfaitement mes droits et mes devoirs mais c’est clair qu’on ne peut pas se permettre de me faire n’importe quoi. Je me moque de ce que pensent les gens, pourvu que je dise ce que je pense même quand c’est loin d’être amène, pourvu que j’obtienne ce que je veux si je sais que j’y ai droit.
Et je l’obtiens toujours, peut être aussi parce que je ne réclame jamais que ce qui me revient de droit, que je suis constamment sincère et ne joue jamais la comédie.
Je n’ai pas eu que des amis mais au moins cela m’a mise à l’abri de la rancœur, la rancune, la frustration, les regrets et de tous ces poisons psychologiques inhérents aux non-dits. Et ce n’est certainement pas en signant que je pourrais me permettre ce luxe.
Savoir parler et écrire n’est pas qu’une liberté, c’est aussi une thérapie et un pouvoir. Pour se faire entendre, il faut des mots. C’est aussi simple que cela.
Harlinah (Montri la profilon) 2013-aprilo-14 12:06:04
La surdité n’a rien enlevé à mes capacités rédactionnelles. Je dirai même qu’elle les a exacerbées à tel point que l’écrit s’est substitué à l’oral et m’est devenu aussi naturel que l’est la parole pour d’autres.
Néanmoins, je suis affligée de ne plus pouvoir parler français comme par le passé.
Désemparée d’être coupée de mes parents et de ne plus parler ma langue maternelle : le berbère.
Triste de ne plus pouvoir apprendre une autre langue comme l’anglais (le parler), l’espagnol ou l’italien.
Quand je dis aspirer à apprendre une langue étrangère, ce n’est jamais la langue des signes mais bel et bien une langue qui me permettra d’en savourer la prose et de donner corps à ma pensée par écrit. Et je doute être la seule à avoir de telles aspirations.
Je conçois que la LSF a son utilité et je m’oppose à ce qu’on l’interdise mais à mes yeux, elle n’aura jamais le statut d’une langue et maintenant vous savez pourquoi.
Et j’ose affirmer : je respecte toutes les langues.
Moi aussi je suis une puriste et ce quelle que soit la langue !
Pour moi toutes sont sacrées et on n’a pas le droit de les écrire ou de les parler n’importe comment ou pire encore de les mélanger avec d’autres.
Mon credo étant : une langue, orale ou écrite, soit on la respecte soit on lui fiche la paix.
Ces gens qui parlent un français mâtiné d’anglais et de barbarismes, ou encore un arabe mâtiné de français (Maghreb) ou d'anglais (Moyen Orient), ou un berbère mâtiné d’arabe m’horripilent, car c’est vraiment insulter toutes ces langues.
Je ne parle bien sîr que des gens supposés connaitre ces langues et non pas de celles qui sont en phase d'apprentissage.
Pour moi c’est ça ne pas respecter une langue et non pas le fait d’être lucide et de reconnaître ses limites lorsque celles-ci nous crèvent les yeux. Je n‘ai pas besoin qu’une langue soit puissante ou même écrite pour la respecter voire m’y attacher.
La grande mode aujourd’hui en France, c’est le franglais et le verlan, ce sabir où un ersatz de français, d’anglais et d’arabe dialectal se le disputent en se faisant massacrer comme dans une arène des lions! Quelle horreur ! Ce sont des moments où je bénis ma surdité.
Harlinah (Montri la profilon) 2013-aprilo-14 12:10:31
Quand je rencontre des adultes nés sourds, dès qu'ils se mettent à m'écrire, je vois très vite les ravages de la surdité , ravages dont leur langue, la LSF, ne les a pas sauvés. Et croyez-moi, les ravages ne sont pas qu’au niveau de l’écrit. Ceux qui peuvent les entendre – j’ai une collègue sourde qui a grandi avec la LSF- me disent que c’est encore plus affligeant à l’oral et que j’ai une chance inouïe de parler « parfaitement ». Je mets entre guillemets car ce n’est pas mon avis mais je suppose qu’ils veulent dire je parle très bien pour une sourde, étrangère de surcroit, ce qui est malheureusement vrai.
Et ce que je ressens envers ces personnes qui eux parlent comme des sourds nourris à la LSF, n’est pas du mépris mais de la compassion ainsi qu’une immense tristesse, des sentiments similaires à ceux que je ressens envers mes parents qui eux non plus ne pourront jamais paraphraser leur solitude, cette solitude dont ils ont sauvé leurs enfants par leurs sacrifices en venant s’exiler et travailler dans un pays dont ils n'ont jamais pu parler la langue.
Eux, bien qu’ entendants, ont été seuls. Seuls dans leur vie, seuls dans leur tête, pas seulement parce qu’ils sont loin de chez eux comme le dit le chanteur, mais surtout parce qu’ils n’ont pas la chance de lire et d’écrire. Parce qu’ils ont grandi avec une langue essentiellement orale, ils ont vécu en France comme des ombres et sont repartis dans leur pays où ils continuent encore à être seuls, comme tous ceux qui ne peuvent ni lire ni écrire. Je ne pardonnerai pas non plus à ceux qui ont condamné le berbère à ce statut de patois.
Comment voulez-vous que je m’apitoie sur moi-même quand je pense à tous ces enfermés qui ne savent même pas le dire ?
Comment puis-je me plaindre alors que moi, je suis libre dans mon esprit et ne suis jamais seule dans ma tête. Comment, alors que j’ai vu des sourds-aveugles? Si les sourds, les muets et les illettrés sont enfermés, les sourds-aveugles sont carrément emmurés vivants.
Rien que par respect pour mes parents et pour tous ces enfermés, jamais je n’assimilerai la LSF à une langue écrite, lue et parlée. Je ne vous demande pas d’adhérer, mais juste d'admettre qu'il est des vécus dont vous n’avez pas idée et d’accepter que d’autres ne pensent pas comme vous sans qu’ils aient à s’en excuser. Je n’ai aucun problème à expliquer mon point de vue quand on me le demande poliment comme l’a fait Francestral que je remercie , mais je n’ai pas à répondre d’accusations gratuites.